CHAPITRE 7

Je finis par rentrer chez moi. Comment, je n’en ai pas la moindre idée. Je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé après cette dernière vision du Hork-Bajir.

Si seulement j’avais pu oublier tous les événements de cette soirée…

Je téléphonai aux autres. Ils étaient tous choqués, mais indemnes.

Rachel n’arrêtait pas de s’excuser de m’avoir abandonné. Marco se contenta de me demander si j’étais sûr que ce n’était pas un rêve.

Il me semble que, durant la nuit, j’aurais dû faire les plus affreux cauchemars de toute mon existence, mais il n’en fut rien. Le monde des cauchemars n’était vraiment rien en comparaison de ma réalité nouvelle.

Mais le lendemain matin, qui était un samedi, j’avais du mal à croire qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar.

La seule chose qui me semblait bien réelle, c’était la façon dont l’Andalite souriait avec ses yeux.

Ce fut maman qui me réveilla en frappant à ma porte.

— Tu es réveillé, Jake ?

Maintenant, je l’étais.

— Ouais, marmonnai-je. Je me lève.

— Tobias est là.

Tobias ? Qu’est-ce qu’il venait faire ?

— C’est moi, fit la voix de Tobias. Je peux entrer ?

— Bien sûr.

Je m’assis dans mon lit et battis des paupières pour y voir plus clair. La porte s’ouvrit, et j’entendis Tobias remercier maman.

Il était rayonnant. Je vous jure : rayonnant. Pas comme s’il était radioactif, non, mais ses yeux brillaient, son visage était tout sourire, et il semblait débordant d’énergie, sautillant comme s’il était incapable de rester en place.

— Je l’ai fait, annonça Tobias.

Je passai les doigts dans ma tignasse ébouriffée pour essayer de la démêler.

— De quoi tu parles ?

J’étais en train de bâiller lorsqu’il me répondit :

Je suis devenu Doudou.

J’arrêtai de bâiller. Ma bouche se referma avec un claquement sec. Doudou, c’est le chat de Tobias.

Hein ?

Tobias regarda autour de lui, comme si la pièce pouvait être truffée d’espions.

— Je suis devenu Doudou. Exactement comme disait l’Andalite.

J’ouvris des yeux ronds.

— C’était si étrange. Ça ne m’a pas fait mal ni rien, je le caressais en réfléchissant à ce qui s’est passé hier soir, tu comprends ? Alors je me suis dit : « Et si l’essayais ? »

Il arpentait la chambre en claquant des doigts, débordant d’enthousiasme. Totalement différent du Tobias habituel.

— Je ne savais même pas comment m’y prendre. Alors, je me suis simplement assuré que ma porte était fermée à clé. Heureusement, mon oncle dormait encore.

La famille de Tobias est assez spéciale. Je n’ai jamais su qui était son père, et sa mère l’a abandonné depuis quelques années. Depuis, il fait la navette entre son oncle, qui habite ici, et sa tante, qui vit à l’autre bout du pays. Son oncle et sa tante se détestent, et Tobias est une espèce de fardeau dont chacun essaie de se débarrasser. J’ai l’impression qu’aucun des deux n’aime Tobias.

— J’étais donc là, assis sur mon lit, à réfléchir à tout ça. A me concentrer. A penser à devenir Doudou. Et quand j’ai regardé ma main, qu’est-ce que tu crois que j’ai vu ? me demanda-t-il en souriant.

Je secouai lentement la tête.

— Je ne sais pas.

— De la fourrure, Jake. Et il me poussait des griffes. J’aurais voulu que tu voies le vrai Doudou : il devenait complètement fou. Il a fallu que je le mette dehors avant de morphoser complètement. Il m’a griffé, conclut Tobias en léchant un doigt éraflé.

Je déglutis péniblement. Cette fois, ça devenait complètement absurde.

— Dis donc, Tobias, tu crois que tu aurais pu rêver ça ?

— Ce n’était pas un rêve, répondit-il avec son sérieux habituel et sans sourire. Tout cela est vrai, Jake. Tout.

Nos regards se croisèrent. Je compris ce qu’il voulait dire. Lui aussi avait sûrement essayé de se persuader que tout cela n’était qu’un cauchemar. Mais c’était la réalité.

Je détournai les yeux. Je me refusais encore à croire que tout cela était bien arrivé. Je voulais que ça reste soigneusement rangé dans un coin de ma tête, un mauvais rêve parmi d’autres. Les mauvais rêves devraient demeurer dans la tête, pas faire irruption dans la vie réelle.

Je me suis simplement concentré sur le changement, dit Tobias, et au bout de quelques minutes, j’avais… cessé d’être moi-même.

Ses yeux se fixèrent sur moi.

— Tu ne peux pas imaginer ce que c’est, Jake. Être un chat est si… c’est… je ne peux pas t’expliquer. D’abord, tu es tellement fort. Toute cette puissance concentrée, et la façon dont tu peux te déplacer ! Tu sais ce que j’ai fait ? J’ai sauté sur mon buffet. Un bond de plus d’un mètre de haut, et je me suis posé comme une plume. Plus d’un mètre ! Tu imagines ce que ça représente, pour un chat ? C’est comme si un homme sautait à dix mètres de haut.

Il se tut brusquement et me regarda.

— Tu ne me crois pas, hein ?

— Tu sais, Tobias, il est parfois difficile de distinguer la réalité de quelque chose qu’on a seulement imaginé, ou rêvé.

— Tu me crois fou.

Je réfléchis un instant.

— Je ne sais pas, Tobias. Examinons les faits. Tu prétends être devenu ton propre chat. T’être transformé en un véritable chat. Oui, je suis obligé d’avouer que ça me paraît incroyable.

Tobias hocha gravement la tête. Il m’adressa un petit sourire.

— Je te comprends, Jake. Tu ne veux pas que ce soit vrai.

— Comment ? Tu me demandes si je veux croire que tu t’es changé en chat ? Et tout le reste ? Si je veux croire que la Terre est envahie par des limaces visqueuses qui vivent dans le cerveau des gens et les transforment en esclaves ? Si je veux croire que… que… Ça non ! Je refuse d’y croire.

— Et l’Andalite ? demanda-t-il doucement.

J’hésitai. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne voulais pas oublier l’Andalite. Tobias posa sa main sur mon bras.

— Bouge pas.

— Hein ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

— T’aider à te faire une opinion.

— Tobias…

— Attends, c’est tout. Et reste calme, quoiqu’il arrive.

Alors j’attendis.

Pendant quelques secondes, il ne se passa rien, Tobias ne bougeait pas. J’observai son visage. Ses yeux… ses yeux avaient changé. Les pupilles n’étaient plus parfaitement rondes, et elles avaient indiscutablement un reflet vert. Et sa bouche faisait légèrement saillie.

Tobias rétrécissait. Sa taille diminuait à vue d’œil. Son col de chemise bâillait, son pantalon lui tombait sur les genoux. Il rapetissait. Et, en même temps, il lui poussait de la fourrure – parfaitement, de la fourrure ! – sur les mains, le cou et les joues. Un pelage gris rayé de noir, comme celui de Doudou.

Je fus pris d’une stupide envie d’éclater de rire. Tobias se transformant en chat de gouttière ! Mais je sentais que si je commençais à rire, je ne pourrais plus m’arrêter.

Tobias était maintenant plus chat qu’humain. Des oreilles pointues se dressaient sur son crâne, de fières moustaches jaillissaient de sous son délicat museau rose. Il s’était laissé tomber à quatre pattes, et ses vêtements pendaient sur lui comme des haillons. Et il balançait nerveusement sa queue. Oui, sa queue !

Je me demandai si j’allais périr étouffé par la grosse boule qui m’obstruait le gosier ou défoncé par le marteau-piqueur qui me tenait lieu de cœur, et puis je m’interrogeai : étais-je bien réveillé ?

Mais s’il s’agissait d’un rêve, il était vraiment très convaincant.

Je restai planté au milieu de ma chambre, les yeux fixés sur un matou gris et noir qui, moins de deux minutes plus tôt, était mon ami Tobias.

 

L'invasion
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